mercredi 27 mai 2015

Publication: INTERVENTION EN ASSEMBLEE GENERALE DE Son Excellence Monseigneur Nestor NGOY KATAHWA au Synode Spécial pour l'Afrique en 1994



        LE SYNODE SPECIAL POUR L’AFRIQUE 
  Rome, 10 avril-8 mai 1994   INTERVENTION EN ASSEMBLEE GENERALE DE           SonExcellenceMonseigneur Nestor NGOY KATAHWA
SECTES, EXORCISME, SORCELLERIE

            Au Zaïre, comme dans beaucoup d’autres pays d’Afrique, nous assistons au phénomène déconcertant de la prolifération de SECTES et de mouvements mystiques. La plupart de leurs adeptes sont des chrétiens catholiques ayant fait défection de notre Eglise. Une telle défection est soit personnelle et spontanée, soit suggérée par des groupes d’intérêts idéologiques, économiques ou politiques.
            Beaucoup de ces sectes sont d’origine africaine. Mais un bon nombre d’entre elles sont venues d’ailleurs : Etats-Unis, Asie, France. Leur impact sur les gens est tel que dans beaucoup de nos paroisses, le nombre de fidèles a sensiblemnt diminué.
            L’Instrumentum Laboris, au n°88, donne quelques raisons du succès des sectes auprès des populations africaines, notamment :
-          L’habileté à traiter avec les esprits du mal et les sorciers ;
-          La guérison des maladies physiques et la recherche d’un salut palpable ;
-          La prédication persuasive et la pratique des prophéties ;
-          Le désir de mieux exploiter l’Ecriture dans le vécu quotidien et la quête d’expériences spirituelles profondes.
Nous pouvons ajouter que ce succès est dû également à l’appui financier et politique que les adeptes reçoivent des Organisations ou des personnalités qui les soutiennent.
Nous nous limiterons à épingler ici quelques aspects qui constituent de véritables interpellations à l’Eglise Catholique en général et à celle qui vit en Afrique en particulier.
Nous sommes convaincus que le phénomène dépasse largement l’Eglise de Dieu qui est en Afrique. Les Africains seuls ne peuvent pas trouver une réponse suffisante à l’influence négative des sectes, en particulier de celles soutenues et protégées par l’Extérieur. Nous avons besoin de l’aide et de l’appui des catholiques des pays d’où viennent certaines de ces sectes. En ce qui concerne l’Afrique, nous pouvons nous demander si, auprès des peuples d’Afrique, l’Eglise remplit efficacement sa mission d’annoncer et d’actualiser le salut que l’homme africain attend de Jésus-Christ.
Il nous semble que dans l’accomplissement de sa mission évangélisatrice en Afrique, l’Eglise catholique reste souvent très lacunaire par rapport aux richesses immenses que le Seigneur lui a confiées pour le monde.
Nous pensons que les pasteurs de l’Eglise (évêques et prêtres) devraient intensifier l’exercice de leur ministère en priorité dans le domaine de la prédication de la Parole de Dieu en rapport avec les problèmes de vie qui se posent concrètement aux Africains.
Face au défi que nous lance l’avancée des sectes, nous, évêques, prêtres, catéchistes, devons proclamer la Parole de Dieu dans toute sa force pour qu’elle atteigne l’Africain réellement comme Parole qui crée, qui transforme et qui guérit. Car l’homme africain désire ardemment vivre et vivre abondamment et il a soif de cette Parole de Dieu qui puisse l’atteindre dans ses joies et dans ses souffrances, dans son âme et dans son corps, dans son individualité et dans ses relations.
Face au défi qui nous vient des sectes, il convient de prêter attention à certains phénomènes difficiles à cerner ou à définir, mais qui ont un impact sérieux dans la vie quotidienne de beaucoup d’Africains, même baptisés et pratiquants. Il s’agit notamment des phénomènes de la sorcellerie, de la magie, du rôle des esprits et des morts. L’Eglise ne peut pas purement et simplement ignorer ces réalités ou se contenter de les taxer de vaines croyances. Elle doit, à la lumièrte de l’Evangile et de la foi chrétienne, donner une réponse valable aux hommes et aux femmes  qui prennent ces croyances au sérieux.
A ce sujet, on peut se demander si c’est par hasard que la lectio continua des Actes des Apôtres dans la liturgie de la messe pendant le temps pascal a laissé tomber systématiquement les passages ayant trait à quelque chose de semblable à la sorcellerie et à la magie : la mort de Judas comme punition de Dieu (Ac 1, 18-19), des visions et des songes sous la mouvance de l’Esprit de Dieu (Ac 2, 15,21), Ananie et Saphire (Ac 5, 1-11), les faux excorsistes (Ac 19, 11-20) etc. Ces omissions et d’autres de ce genre font que dans nos célébrations liturgiques l’occasion est souvent manquée pour éclairer par la Parole de Dieu certaines réalités obscures qui continuent d’avoir un impact lourd sur la vie des Africains.
Face au défi que nous lancent les sectes, nous devrions revaloriser le sacrement des malades et le difficile et délicat ministère de l’EXORCISME, qui - hélas ! -  n’a plus été retenu sur la liste des ministères institués. A l’exorcisme proprement dit on pourrait associer le ministère de guérison et de la libération de mauvais esprits. Ces ministères peuvent être confiés par l’évêque à des personnes prudentes et éprouvées parmi les clercs et même les laïcs. L’expérience commence déjà à montrer que là où des catholiques exercent ces ministères, des adeptes de sectes et même des païens affluent en grand nombre.
Face au défi que nous lancent les sectes, nous devrions mieux encadrer les groupes charismatiques et de renouveau dans l’Esprit qui constituent déjà une école de prière et d’expériences spirituelles profondes. Ils peuvent être aussi des lieux de guérisons spirituelles, voire physiques. Remarquons que dans ces groupes charismatiques on rencontre fréquemment en Afrique ce phénomène rare dans d’autres cultures, à savoir la descente de Saints qui parlent ou agissent dans une personne. Tout ceci, bien sûr, nécessite un discernement. Il appartient justement aux pasteurs que nous sommes d’opérer ce discernement multiforme et de ne pas faire obstacle à l’Esprit de Dieu.
En tout premier lieu, comme nous l’enseigne la prière du Notre Père, nous devons chercher l’accomplissement de la volonté de Dieu : un ministère, comme la prière de guérison, doit être soumis à la souveraine volonté de Dieu. Notre corps est sujet à la souffrance et à la mort. La prière peut retarder cette échéance ou en obtenir l’allègement  mais il est impossible de supprimer la souffrance et la mort dans le  monde. Le passage par la croix pour atteindre la résurrection fait partie de la condition de tout homme et de tout chrétien.
En second lieu, même pour d’autres demandes, nous ne pouvons connaître les dates ni les délais que l’Esprit Saint fixe souverainement pour exaucer la prière des fidèles. En dehors  des sacrements de l’Eglise agissant ex opere operato,personne ne peut connaître d’avance la date et le moment où le Saint-Esprit viendra exaucer nos prières.
En troisième lieu, il arrive que des guérisseurs fassent parler des malades qui citent en public des personnes présumées responsables de leurs maux, notamment tel ou tel SORCIER. Nous signalons en passant que les personnes détestées pour leur sorcellerie sont celles-là qui causent du tort au prochain. D’autres personnes réputées capables de neutraliser des forces spirituelles nuisibles paraissent bienveillantes et sont respectées. Que le sorcier soit capable ou non de nuire à la santé des gens sans les avoir physiquement approchés, telle n’est pas la question ici, car la connaissance des limites et des modalités de l’action de l’homme sur son semblable et sur le monde, ne fait pas partie  du message de la révélation que nous avons à transmettre. Il ne revient donc pas à l’Eglise de se prononcer sur la puissance ou la science des sorciers ni sur celle des devins. Mais à eux comme à toutes les personnes humaines, nous devons prêcher l’Evangile qui commande d’aimer le prochain et de ne jamais lui faire du mal. Le décalogue est applicable aux sorciers, aux devins et à leurs clients : à eux comme à toutes les personnes humaines, Dieu demande de ne pas tuer, de ne pas mentir, de ne pas calomnier et de pas voler. En ce sens, quiconque provoque la dissension dans la communauté, notamment par la publication des péchés des tiers, commet une faute et ne peut en cela prétendre agir au nom de l’Esprit de Dieu.
Enfin, il importe de reconnaître que certaines sectes ont pour raison d’être la lutte contre l’Eglise Catholique. En face de telles sectes, l’autodéfense devrait passer avant le dialogue. Saint Paul nous a donné dans l’épître aux Galates des critères de discernement qui  peuvent nous aider à apprécier les paroles et les actes de ceux qui prétendent à tort ou à raison qu’ils conversent avec des Saints (Ga 5, 19ss).
Nous devons par conséquent conclure que dans le contexte des sectes, des mouvements charismatiques et mystiques, des phénomènes de possession et/ou de guérison, notre peuple a besoin d’être formé et guidé par des prêtres, des religieux, des religieuses et des laïcs théologiquement, spirituellemnt et culturellemnt bien préparés. Ici comme ailleurs, la formation du peuple et des fidèles chrétiens est la réponse appropriée aux nombreux défis lancés à notre Eglise. Cependant, nous devons éviter que l’excès de prudence n’éteigne l’Esprit. Puisque nos fidèles croient à un au-delà et au monde invisible de Dieu et des ancêtres, il est de notre devoir de les former à vivre en communion avec Dieu, les Anges et les Saints, parmi lesquels nous comptons à juste titre nos Ancêtres au cœur droit.

                                                                                   † Nestor NGOY KATAHWA,
                                                                                            Evêque de Manono
                                                                                           République du Zaïre.

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